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Accueil du site > Grand Voyage > Polynésie > Escales exotiques - Dansons le Tamouré des Filles… fleurs !

Rubrique : Polynésie

Dans cette rubrique on trouvera également :    (2 articles)

Escales exotiques - Dansons le (...) Escales exotiques - L’ukulélé (...)

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Escales exotiques - Dansons le Tamouré des Filles… fleurs !Version imprimable de cet article Version imprimable

Publié Janvier 2018, (màj Janvier 2018) par : Collectif Salacia   

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Mots-clés secondaires: navigation_divers , Traditions_cultures

NDLR merci à “Kerdubon” capitaine, marin, conteur et explorateur...

Escales exotiques
Dansons le Tamouré des Filles… fleurs !

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La goélette mettait trois mois pour faire le tour des Tuamotou, des Marquises et des Îles sous le vent, avant de rentrer à Papeete. J’étais second sur la « Manuia ». Comme le Pacha, parent de l’armateur chinois, était cuit du matin au soir, je faisais marcher la boutique, tout le monde était satisfait et l’équipage m’aimait bien. Nous étions “marques de franc-bord” noyées, surchargés de marchandises que le « subrécargue » vendait aux îliens, ainsi que de passagers regagnant leurs villages. Une nuée de volailles, des cochons, des chèvres et d’autres animaux faisaient partie de leurs bagages. Chacun se couchait là où il trouvait une place entre deux ballots, souvent une vahiné un peu libre occupait ma couchette.

Mon problème principal était de ravitailler ces gens en eau potable, car les cuves n’étaient pas gigantesques, la place à bord étant prioritaire pour le coprah, fret de retour. Si les Tuamotou étaient sèches, les Marquises quant à elles débordaient de torrents et cascades. Nous y avions nos habitudes. Une crique non loin de la baie Hakatao dans le sud ouest de Hua Pou était notre première aiguade possible. Je débarquais avec les matelots et les jerrycans, la navette allant de la source bruissante à mes cuves résonnantes de vide s’organisait.
Enfin les vahinés locales arrivèrent. Elles avaient laissé leurs tanés aller à la chasse et retrouvaient leur matelot trimestriel porteur d’un petit cadeau. L’une d’elles, une splendide métisse dont les sangs mêlés donnent des lèvres lourdes au sourire désabusé, des yeux immenses noyés d’infini et de rêves insondables pleins d’espérance, apparemment inconsolable, versait des torrents de larmes capables de remplir les citernes d’un « gros cul  ». Je n’allais pas lui révéler que celui qu’elle espérait avait déserté à Takaroa, complètement coincé entre les bras d’une Pomotou !

  • Aué te rahi é” ! (quelle calamité) lui dis-je hypocritement en mettant mon bras sur son épaule pour qu’elle appuie sa tête contre la mienne, sachant le remède infaillible car nous étions jeunes et certains disaient… beaux !

Entre deux rotations de la chaloupe remplie de bidons, nous étions toute la bande à nous baigner et la belle qui avait séché ses larmes pour que ses yeux reflètent le ciel et la mer, non seulement ne me quittait pas d’un pouce, mais dans les eaux transparentes, avait des caresses un peu osées et réprouvées par la morale. Voyant que nous ne pouvions plus résister aux forces de la nature, elle me demanda selon l’expression habituelle : « Veux-tu venir jouer ? » … et les buissons fleuris d’hibiscus, embaumés par le tiaré, nous accueillirent !



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Sur cette goélette j’étais comme un pacha puisque le capitaine était ivre mort du matin au soir et même la nuit. Avais-je atteint mes 20 ans ?

Du côté de la marine et des autorités, on n’était pas regardant après la guerre dans ces fins d’années 40 où l’on cherchait des casquettes jusqu’aux portes des bordels. L’essentiel était que l’équipage uniquement Maori ait confiance en ma maigre expérience. Nous relâchions à Takaroa, une des îles Touamotou.
Pourquoi cette vieille femme qui m’avait abordé s’imaginait-elle que je sauverais sa petite fille lorsqu’elle me supplia de la soigner ? Cet enfant aux yeux agrandis par la fièvre, causée sans doute par un poisson empoisonné par le corail, était au bout du rouleau et gémissait doucement.
Dans cette île sans sorcier à blouse blanche, elle espérait que le « farani » (Français) de la goélette à coprah ferait le miracle ! Pénicilline et calmants… trois jours et trois nuits à repousser à coups de gaffe la salope à grande faux… puis l’abandon ! On attendait mon navire dans une autre île, je ne pouvais léser davantage mes patrons, me rappela le subrécargue, un demi-Chinois, lui aussi parent de l’armateur, qui savait très bien compter.
Je sentais la réprobation muette des hommes. Ces Maoris durs à la mer et au labeur avaient des réactions surprenantes…. Je m’étais montré moins fort que le destin !... Et maintenant, le regard dans les nues obscures et menaçantes, ils doutaient de mes capacités !

  • Nom de Dieu !... demi-tour  !... A choquer les écoutes, tant pis si on se fait souffler le fret dans l’île suivante !…

Tous ont bondi et riaient dans le vent, découvrant leur dentition blanche dans l’obscurité nocturne, bien que le ciel commence à se dégager par l’Est. Voilà maintenant la lune qui se dévoilait impudiquement entre des cumulus. Lof pour lof, la vieille baille a viré de bord et vent arrière volait sur les crêtes phosphorescentes des vagues. Le vieux Téhari chantonnait à la barre… l’air semblait plus léger !
Dans la féerie du soleil se levant derrière les cocotiers, parmi les piaillements matinaux des nuées de mouettes, sternes et frégates, nous avons enfilé la passe du lagon.

  • Amène la misaine !... Attention au virement de bord !... Allons-y !... Amène toute la toile !... mouille !

La goélette, le nez dans l’alizé, s’immobilisa. La chaîne grinça… Et ce fut le calme ! Les Pomotous faisaient des grands gestes sur la plage, les premières pirogues s’en détachèrent et nous rejoignent bientôt. Ils parlaient tous en même temps et m’embrassèrent.

  • La petite est guérie !... La vieille t’attend !... Mes hommes hurlèrent de joie à leur tour et se précipitèrent vers moi, mais je les arrêtai d’un geste :
  • A virer la chaîne… on repart !

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Lorsque nous sommes arrivés au mouillage en baie Tahauku -Baie des traîtres- à Hiva Hoa, la « Vaïtéré » une autre goélette de Tahiti s’y trouvait. Avec notre équipage, j’ai rejoint ses hommes qui faisaient la bringue chez le Chef du district (équivalent de Maire) en compagnie de ceux de la goélette « Tahora » qui avait coulé et qu’ils avaient repêchés.
Il n’y avait pas eu de victimes, la joie relative était donc générale, tandis que notre Capitaine, archi-cuit depuis le départ de Tahiti, assurait la garde de notre navire, sans quitter sa couchette ni son litron, en compagnie du mousse, chargé de venir nous prévenir, si l’on chassait dans un coup de vent… improbable en cette saison.
Le magasin du Chinois avait quasiment été vidé de son stock de bière Hinano qui coulait à flots, directement des canettes dans les gosiers
Bien allumé, un de mes amis, le dernier Marquisien à 100% tatoué de la tête aux pieds, qui avait refusé de se marier faute de trouver une compagne marquisienne pure, les habitants des îles étant métissées jaune ou blanc par tous les marins et coloniaux de passage, se leva pour expliquer les causes du naufrage incroyable.
Sur le brasier autour duquel les trois équipages chantaient en s’accompagnant de guitares et ukulélés, il jeta des herbes qui dégagèrent une fumée à l’odeur étrange et épicée. Il allongea les bras à la manière des conteurs polynésiens et regardant Hina la lune en plein ciel, s’écria avec la tonalité monocorde des récitants traditionnels :

  • Aué é té ati é !... Malheur ! … puis il expliqua que pour faire inscrire son nom dans un musée européen, l’Administrateur de Nuku Hiva, capitale des îles Marquises, avait volé un Tiki ! (Ce qui fut démenti par la suite… on s’en doute !).

C’était une statue de grosse taille qui avait été ôtée de son ahu -plate-forme de pierre- scellé à l’extrémité d’un maraé, d’où lui et de son jumeau sis à l’autre extrémité, veillaient au bien être des habitants. Les tikis n’ont pas de jambes !... Impuissant, le rescapé devenu solitaire fit appel aux dieux : Ta’aroa, Oro… et même Iesu Cristo !
Lorsque la goélette voleuse quitta la baie entr’ouverte entre deux pitons sentinelles en basalte bleu, le vent au plus près la fit gîter. La statue bougea dans la cale et sans bruit, mine de rien, disjoignit la virure de galbord de la rablûre de quille. L’équipage l’ignorant, la goélette hissa alors toute sa toile. C’est ce qu’attendait le Tiki resté sur sa terrasse de pierre. Il était redevenu habité par les dieux. De ses lèvres moussues jaillit un vent qui dévala les pentes de la montagne et s’amplifia sur la baie Taio Hae, s’engouffra entre les deux rocs sentinelles qui bordent son entrée et cette fois coucha le voilier dont les bômes touchèrent l’eau. Le chargement de coprah ripa, le Tiki dans la cale fit craquer la virure de tribord et la goélette, complice du vol, chavira en un instant !

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Je menais la boutique à voiles comme bon me semblait et le brave monsieur Chang, l’armateur d’origine chinoise installé à Papeete, était satisfait de mes services. Le commandant en titre pouvait ronfler devant sa bouteille autant qu’il le désirait. Mon principal problème était toujours le ravitaillement en eau, vous ai-je dit ! Les Polynésiens étant d’une extrême propreté, mes passagers croyaient mes cuves directement reliées à des sources et ne se privaient pas d’eau.
Une haute cascade m’ayant servi d’amer, nous avons jeté l’ancre aux Marquises. La chute alimentait des vasques de basalte avant de précipiter son eau dans la mer à travers une cocoteraie et une étroite plage. C’était une autre de nos aiguades, dans cet archipel d’îles volcaniques très élevées. Le lieu n’était plus habité. Quelques maraés (soubassements de pierre) montraient que, dans le passé, ce ne fut pas le cas. Un Tiki moussu en pierre noire veillait sur le site.
C’était un samedi soir, nous avions mouillé pour la nuit qui s’annonçait bien calme, au jour débuterait la corvée d’eau. Les noires frégates menaient leur sarabande amoureuse dans le ciel bleu turquoise, indigo et or du côté du couchant. Certains de ces oiseaux, mâles en rut, ou bien des femelles en chaleur… arboraient un énorme jabot rouge en forme de cœur.
A notre grande surprise, des pirogues avaient été montées aux abords de la cocoteraie verte, aux frondaisons blondies par les derniers rayons de l’astre du jour et qui se balançaient doucement au gré de l’alizé mollissant avec le soir. A la jumelle, je vis des indigènes emplumés qui tapaient sur des troncs creusés et recouverts de peau de requin, tandis que des femmes aux seins nus dansaient un tamouré à faire bander le plus sénile de la terre… or nous avions dans les vingt ans… pensez si notre ardeur était loin de la sénilité ! Nous avons mis le canot à l’eau, laissant nos passagers en plan avec les hommes de quart et leur commandant éteint, la nuit serait paisible à bord, elle ne le serait pas pour nous, je le savais
Au fur et à mesure que nous approchions de la plage noire du sable volcanique, les odeurs de tiaré et autres fleurs commencèrent à nous enivrer. Nous avons abordé. Le bois de la quille de l’embarcation aux avirons rentrés, crissait sur les graviers et le sable.
Les indigènes musclés, beaux comme des dieux antiques, souriaient en montrant une dentition à l’ivoire brillant comme de la nacre. Ils se sont précipités pour tirer notre chaloupe complètement au sec. Les femmes, tout aussi souriantes, passèrent alors des colliers de fleurs et coquillages autour de notre cou… ma parole, on se serait cru au temps de Bougainville !
L’une d’elles, aux larges aréoles et aux tétons érigés, fit de ses bras un collier supplémentaire à mon propre cou et frotta son nez sur le mien !… Quelle escale allions nous vivre, bon dieu de bois !… Téhari mon matelot timonier demanda :

  • D’où venez-vous ? Que fêtez-vous ?
  • Nous venons de la baie Akaopu de l’autre côté de l’île, nous fêtons te oraraa ! (La vie)… que la vie était belle !

Quand nous rentrâmes à l’aube, le paysage vu de la goélette, où la vie maritime avait repris son activité, était splendide. La corvée d’eau dans des jerrycans à remplir et vider dans nos cuves s’organisa.
La vallée devant laquelle nous étions au mouillage dans cette île de l’archipel des Marquises, avait été creusée au fil des siècles par le torrent descendu des hauts plateaux arrosés par les averses du Maramu (l’Alizé).
Ce torrent bouillonnant s’achevait en ruisseau abondant, avant de se saler dans la mer. Au fond de cette vallée, après avoir chuté d’une hauteur impressionnante dans une cascade bouillonnante et bourdonnante d’insectes venus butiner les innombrables fleurs, il passait par un éboulis de blocs de basalte bleu, qui formait comme des vasques, des bains naturels où les vahinés qui nous avaient reçus à bras ouverts… si je puis dire… y tenaient salon, se caressant en se massant mutuellement avec le monoï de leur fabrication.
Tandis qu’elles pépiaient dans des palabres insensés, elles traquaient quelques chevrettes égarées –écrevisses-. Elles rêvaient tout haut de Tahiti, avec ses tanés en costume cravate, comme celui du pasteur venu une seule fois cette année, pour prêcher… dans le désert de leur indifférence et d’ailleurs, elles nous ont déclaré qu’elles étaient déçues de voir que nous étions débraillés, en short et tricot de peau, pas du tout vêtus… comme ce beau capitaine d’un yacht américain, qui, en uniforme de pacotille, avait une superbe casquette aux galons dorés !

  • Ahoué !... m’avait déclaré la jolie îlienne qui avait mis une fleur de tiaré derrière mon oreille et garni la sienne de celle d’un hibiscus, pour montrer aux gens que nous étions liés d’amitié… particulière… Tu manques de tenue, ça fait honte !


Le jour suivant, profitant des ultimes risées de brise nocturne, nous avons quitté l’aiguade en déployant focs, génois, ainsi que les multiples autres grandes ou petites voiles, dans le soleil levant. Comme dans la chanson, « les vierges font naufrage quand le bateau quitte le rivage ! Filles devenues femmes, quand le bateau s’en va, voguent vos vingt ans, vos bras ne serrent plus que souvenirs !  »…
Même de couleurs différentes, tant de mains qui m’ont caressé sont les tiennes ! Rires de colibris, pleurs de rosées, senteurs d’oléacées, jasmin, lilas et autres, sont “ toi ”, l’éternelle et multiple fille fleur

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Ta Hau ku est une baie ouverte à l’Ouest. Elle est abritée des coups de tabac et de l’alizé. Elle est cernée de falaises à pic et élevées. Ces énormes blocs de basalte sont coiffés de filaos, manguiers, pandanus et autres arbres exotiques, dominant des buissons de bougainvillées aux couleurs variées, du blanc au violet, de tiarés, de frangipaniers à fleurs blanches et d’hibiscus aux différentes couleurs vives.
Cet étalage polychrome complétait la palette verte et bleue des montagnes dominant l’île, avec leurs formes étranges de clochers, belvédères, doigts vengeurs ou aiguilles de granite rose ou gris, de basalte noir, bleu, ou blanc, veiné comme du marbre et de quartz parfois scintillants dans le soleil, comme de mystérieux signaux, compris seulement des tikis de pierre noircie par les ans, aux yeux globuleux ouverts sur un passé révolu.
Une plage de sable blanc et immaculé occupait le fond, à deux ou trois dizaines de brasses de notre mouillage. C’est là que j’avais déchargé mes passagers et la cargaison avant d’embarquer dès le lendemain, les sacs de coprah. C’était le calme à bord après les cris de joie, les appels et encouragements des Marquisiens regagnant leur île, leur famille et amis.
L’équipage étant parti faire la bringue, seul le mousse et le captain toujours cuit étaient ma compagnie.
Derrière les cocotiers et des amas de pandanus qui bordent cette plage, quelques fumées révélaient la présence de farés, cases ou habitations noyées dans la végétation et une grande cocoteraie. Ces huttes fleuries étaient perchées sur d’anciens soubassements de pierre étagés sur la pente des premières collines. Leurs murailles, en fibres de niaoulis ou de palmes et de feuilles séchées de pandanus tressées, étaient ceintes d’une terrasse-galerie en bois rouge. Les femmes dans l’appentis cuisine qui jouxte l’habitation principale, devaient s’activer pour préparer le repas du soir. Certaines avaient déjà allumé la mèche de fibre qui trempe dans de l’huile de noix de coco. Ces lampes éclairent en parfumant l’ensemble et chassent les tupapaus, fantômes particulièrement redoutés, ainsi qu’accessoirement les rares moustiques. Grâce au ciel, il n’y avait pas de nonos, des insectes minuscules, quasiment invisibles, causant des démangeaisons atroces pendant plusieurs jours.
Un peu plus haut en arrière du village, sur l’ancien maraé, une grande terrasse dallée des cérémonies du temps des anciens, la jeunesse préparait l’animation vespérale. Les guitares s’accordaient avec les ukulélés, quelques tambours creusés dans des troncs plus ou moins grands disposés en arc de cercle.
Tout à l’heure je me rendrai à cette fête improvisée, malgré l’interdiction de battre tambour et chanter les mélopées anciennes, formulée par le Mutoï, (le gendarme) et le missionnaire de passage avec la goélette le mois précédent. J’irai danser ces tamourés endiablés, entraîné par de belles filles peu farouches, l’une d’elles n’omettant pas de me glisser une fleur de tiaré derrière l’oreille, comme pour marquer sa propriété. En roulant vaguement les « r » elle murmurera les yeux brillants :

  • Lorsque tu seras fiu de la danse, nous irons jouer dans la mer et sur le sable !

Dans ces îles Marquises, les adultes jouaient la vie, l’amour et la mort. Les enfants, quant à eux, ne jouaient jamais, leur regard profond et intelligent ne scrutait que les choses ou les travaux qu’ils effectuaient avec sérieux, comme s’ils étaient seuls à percevoir l’extinction proche de leur race et qu’ils n’avaient pas le temps de s’amuser, encore moins de forniquer n’importe comment à droite ou à gauche !… Il faut dire qu’il y avait cent mille âmes du temps de la conquête de cet archipel par le brillant Du Petit Thouars, lequel d’ailleurs succédait à Mendoza … il n’en restait qu’une dizaine de milliers, en cette fin des années 40. La civilisation blanche ne leur avait apporté que la maladie et la mort, ainsi que les évangiles d’une dizaine de religions d’obédience chrétienne, tellement différentes de leurs pratiques ancestrales naturelles, qu’elles ont d’abord été perçues comme... hors nature. Les Maoris ont été en quelque sorte les « peaux rouges » du Pacifique, ils ont été éliminés presque naturellement… par rapport aux aborigènes d’Australie dont les colons anglais allaient à la chasse le jour du seigneur… pour se détendre de leur dur labeur.
En eux, ces Marquisiens, les croyances se sont superposées les unes aux autres… comme des couches de peinture sur un mur, sans se mêler et sans s’annuler.
Dans le calme du soir, le soleil était déjà descendu vers l’horizon. Son disque d’or était encore si lumineux, qu’on ne pouvait le fixer du regard. Les cumulus d’alizé étaient éclairés en jaune par-dessous et en rouge vif virant au mauve à leur partie supérieure. Ils semblaient flotter dans le ciel orangé au niveau de l’horizon, bleu jaunâtre, puis plus haut, bleu intense, devenant progressivement plus sombre à notre verticale, tandis qu’il était déjà carrément noir derrière les montagnes illuminées de l’île.
L’eau était transparente, on voyait passer sous notre chaîne de mouillage un banc de carangues argentées qui évitaient de s’y frotter. Le fond de sable passa du bleu turquoise au bleu verdâtre, puis au noir d’encre. Des particules de plancton phosphorescent circulaient dans tous les sens, ainsi que de minuscules crustacés ou arachnides, c’étaient de véritables lucioles sous-marines.
Un bruit assourdi de galop attira mon regard. Un cheval blanc immaculé, teinté en rose par les ultimes rayons du soleil qui allait disparaître, débouchait d’un sentier venant de la montagne le long du ruisseau bouillonnant d’eau vive. Il s’élança sur la plage et galopa vers l’astre qui se couchait. Le sable volait sous ses sabots, si bien qu’on aurait pu penser qu’il ne touchait pas le sol. Tel Pégase ou Antar, allait-il rejoindre la cavalerie de ses frères qui sous la main ferme de Phaéton entraîne le char de Phébus dans la nuit derrière l’horizon ?
Aussi soudainement qu’il avait déboulé des plateaux de la montagne, lorsque l’eau lui a atteint le garrot, le cheval blanc a stoppé net. Il a henni dans une sorte de joie, qui était peut-être un salut, ou un adieu à l’astre vital, qu’on pouvait maintenant fixer du regard sans se brûler les yeux.
Le soleil s’enfonçait, assez rapidement sous la surface de l’océan. A l’instant où il disparut, sa couronne de gaz située encore au-dessus de l’horizon s’illumina d’un vert intense, fulgurant comme un éclair. C’était mon plaisir du soir depuis quelques jours : contempler ce rayon vert, en silence, avec un verre contenant une boisson relativement fraîche à la main.
Indifférent à Hina dont le croissant d’argent s’élevait vers la nue obscure piquetée d’étoiles à l’est, entre deux pics qu’elle illuminait, le cheval reprit son galop sur le sable durci de la laisse de basse mer, vers l’autre extrémité de la plage. Il vira de 90 degrés et cap sur la lune, remonta du bord de mer pour disparaître sous la cocoteraie, aussi soudainement qu’il était apparu à mes yeux, à vrai dire pas tellement étonnés, en raison de l’étrange ambiance magique qui régnait dans cette atmosphère de l’île, où l’on pouvait facilement s’imaginer que tout était possible.

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Une musique céleste, harmonieuse et mélodique, nous surprit sur les hauts plateaux de la côte sud est de cette île Marquise. C’était le chant du maramu, à travers les ramures plus fines et plus sombres que celle des pins, celles des filaos, les arbres de fer, le teck local. Sur ces plateaux, parmi les bosquets de manguiers, tamariniers, avocatiers et autres arbres, vivaient des hordes sauvages de chevaux, ainsi que des taureaux et des vaches.
Dans ces îles, chaque homme doit avoir son cheval, une femme et un faré. L’un des enfants ayant atteint l’âge mûr, tous les tanés du village participaient à la capture d’un cheval qui lui serait offert solennellement au cours d’un grand kaï Kaï (repas).
Tout le monde devait être à cheval, parce que l’odeur des bêtes couvrait celle de l’homme et qu’un cheval ne se méfie pas d’un autre. Je m’en suis bien tiré bien, mais monter à cru sans étriers, un cheval à peine dressé, humant ses collègues de la harde sauvage, démarrant au galop, ou s’arrêtant brutalement pour manger une mangue… sans qu’on puisse réellement le contrôler, il fallait des reins d’acier, heureusement que j’étais jeune !
Les rabatteurs, aidés par les chiens, isolèrent de la harde un superbe étalon noir !... Il fut cerné sur un éperon rocheux. Au moment où il allait recevoir le lasso en fibre de coco préparé par le chef du village dressé devant lui, imitant les vierges de Fatu Hiva, il montra sa croupe, esquissa une ruade et sauta dans le vide en hennissant. Il fit une chute de cent mètres directement dans la mer !

  • Une si belle bête !... quel dommage !… dis-je…
  • Beefsteaks !… me répondit le chef… En effet, un groupe de piroguiers attendait au pied de la falaise, c’était assez fréquent, moins rare que les vierges !.

Pendant ce temps le grand kaï Kaï s’organisait, les femmes du village préparaient la fête, les fours tahitiens étaient déjà remplis de bois enflammés pour y faire de la braise, tandis qu’un autre cheval, moins fier que le suicidé, fut capturé peu après et ramené au village, puis sur la plage, poussé dans la mer.
Le jeune homme lui sauta sur le dos. Grâce à la corde passée dans les naseaux, il ne fut pas éjecté par les ruades qui durèrent jusqu’à ce que la bête s’avoue domptée et reconnaisse comme son maître… le gamin qui riait aux éclats, applaudi par la foule qui observait !
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La beauté des îles Marquises… était grandiose, à l’état brut... quasi originelle, puisqu’à l’époque elles étaient pratiquement inviolées dans leur intérieur. Avec l’hélicoptère et maintenant les drones, elles n’ont plus de secrets. Elles sont devenues des beautés... déshabillées, dénudées... des îles publiques munies de leur aérodrome.
Cependant le siège suprême de la beauté des îles Marquises ne résidait pas dans le relief tourmenté, ni dans la végétation, ni autrement dit la flore et la faune extraordinaire... j’avais trouvé sans être bien fin ethnologue... seulement un exote, qu’elle resplendissait dans ses habitants... quoique métissés.
Les hommes étaient forts, musclés et agréablement proportionnés. Ils étaient d’une agilité, d’une adresse et d’une bravoure incroyable.
Lorsque la femme marquisienne n’avait pas une goutte de sang chinois, elle était plus lourde. On se rendait compte que Gauguin avait vu juste lorsqu’il avait peint les authentiques femmes Maories.
Tous et toutes avaient gardé le caractère montré par les Melville et autres conteurs passés, c’est à dire la fierté du Marquisien farouche, laquelle se fond en gentillesse rieuse et amusante... pas toujours désintéressée... lorsqu’on est adopté. Hélas le métissage est devenu quasi général avec les Chinois importés en masse, les marins de toute espèce et autres individus déjà bâtards. Par ailleurs il est certain, en plus, que de nos jours, l’obésité les atteint irrémédiablement.

A propos de la pureté de la race, je m’honorais de l’amitié et discutais souvent à Hiva Hoa avec celui que je nommais Monsieur le Marquis, le dernier Marquisien 100% considéré par tous comme détenteur du savoir ancien. Il refusait de se marier malgré la pression des autorités -gendarme, curé, chef de village-, tout simplement parce qu’il n’avait pu trouver une pure Marquisienne ! Comme quoi, il est plus facile de trouver un marquis, ou une marquise, qu’un véritable Marquisien, même si les jeunes reviennent aux pratiques de jadis qui avaient été interdites par les religions chrétiennes et les autorités !
Je n’ai rien contre les religions qui rassurent tant le pauvre monde effrayé par la mort certaine. Elles ont quand même réussi à éliminer pratiquement le cannibalisme et autres fléaux hérités de l’âge de pierre, lorsque l’animal était souvent plus intelligent que le bipède humain !… Cependant pour imposer leur Dieu, certaines ont détruit beaucoup de valeurs culturelles et exercé une dictature mentale incroyable !
A Hua pou, l’une des îles Marquises, le curé missionnaire qui passait de temps en temps dans la vallée perdue où j’escalais, avait excommunié la famille d’une jeune fille qui avait osé fréquenter un blanc de passage sur un voilier !… On ne rigolait pas chez les ensoutanés de tout poil !… Quant à la famille en question, bannie du clan que constituait le village, elle était désespérée… mais n’avait pas osé sacrifier la pécheresse en l’envoyant au diable… à trépas… la peur du mutoï (gendarme) qui passait également de temps en temps pour mettre les listes d’état civil à jour des naissances et décès… étant plus forte que l’envie de retrouver la dignité !… C’est l’un de mes marins qui l’emporta un jour, trouvant ainsi le bonheur et fit enfin respirer toute la vallée !
Ceci dit, d’une part, je n’ai aucune leçon à donner à personne. D’autre part, je me débrouillerai seul avec mes comptes à rendre à celui qui m’en demandera… s’il existe… car j’ai beaucoup pêché… profitant de la vie, tout en essayant de ne pas nuire à mon voisin… Je me dis que si au paradis il n’y a pas de pêché mortel… la Polynésie de l’époque de ma jeunesse en étant un… il y aura donc des excuses à ma conduite et mes fautes somme toute vénielles !

N’oubliez pas, mes amis, que tel le conteur marquisien…

  • je suis un menteux par nécessité pour embellir et adoucir le commun de la vie, ni surtout, qu’un menteux… n’est pas un menteur !

- 
Kerdubon

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  • 21 janvier 2018 15:10, par yoruk écrire     UP Animateur

    Sur cette goélette j’étais comme un pacha puisque le capitaine était ivre mort du matin au soir et même la nuit. Avais-je atteint mes 20 ans ?

    Quel talent, et quelle insouciance, c’est la privilège de la jeunesse. Bien sûr, un peu menteux du banc des menteux, mais il revendique ce droit... C’est le droit de l’enlumineur, c’est le droit de l’artiste, c’est le droit de ses 20 ans...

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