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Voile latine, selon Jules Vence 17 novembre 2017 11:24, par Négofol

Je vais un peu radoter (on se fait vieux) : il se trouve que j’ai une petite expérience pratique de la voile latine traditionnelle…

Dans ma tendre jeunesse, nous habitions Béziers, ma ville natale, et passions nos vacances à Valras-Plage, alors une petite station à l’embouchure de l’Orb, avec un port non fréquentable pour les voiliers calant plus de 1.2 m. Le bateau familial était donc à Sète, à 40 km et inaccessible en semaine pour moi.
Comme j’étais déjà intéressé par la voile, je faisais parfois le mousse en semaine avec un vieux monsieur ami de la famille, instituteur retraité à Valras-Plage et fils de pécheur. C’était lui qui avait présenté ma mère au Certificat d’Etudes Primaires en 1922…

Il possédait encore le bateau familial, une barque de 30 pans de Montpellier (soit 7,5 m). Barque désignait localement le bateau appelé dans la littérature maritime classique « Catalane », un bateau ponté gréé d’une seule voile latine. Il y avait encore quelques barques qui péchaient, ainsi que des nacelles (bettes pour la littérature, bateau à bouchain un peu semblables à des doris, regardées de haut par les patrons de barques…).
J’ai toujours trouvé que l’usage d’une polacre (trinquette) sur ce type de bateau n’avait guère d’intérêt car, sur les barquettes marseillaises, elle est envoyée volante et il est impossible d’étarquer correctement le guindant du fait du la finesse de l’arbre (il n’y avait pas de mât en Méditerranée, mais des arbres, le grand mât étant l’arbre de mestre) et de l’absence d’haubanage. Par ailleurs l’interaction entre voile d’avant et mestre (grand-voile) est plus complexe que sur un gréement courant du fait de la dissymétrie de la grand-voile. La polacre est donc surtout utile amha comme une espèce de gennaker aux allures du travers.

Pour revenir à notre histoire, j’ai donc navigué pas mal d’heures sur ce bateau et beaucoup appris avant d’acheter un des premiers 470 et de passer au dériveur vers 16 ans.

Analyse rétrospective :

Ce type de bateau n’est pas un foudre de près, surtout par petit temps, notamment du fait d’une carène large et plate et d’un plan de dérive peu efficace avec beaucoup de surface mouillée (quille longue et peu profonde, deux quilles d’échouage pour permettre la mise au sec, encore traditionnelle dans beaucoup d’endroits de la côte à l’époque, et un grand safran plus profond que la quille). Le bateau était équipé d’un moteur Beaudouin de 6 CV à essence qui permettait d’appuyer la voile au près et de faire ainsi un cap correct…

A noter la simplicité du bateau : l’installation électrique se limitait à deux fils et un interrupteur en porcelaine pour l’allumage du moteur qui était équipé d’une magnéto d’allumage et d’une manivelle pour démarrer… Une lampe tempête comme fanal si navigation de nuit epicétou…

Par contre, par vent établi, le bateau se comportait remarquablement du bon plein au largue, un peu moins bien aux allures plus arrivées puisqu’on ne pouvait pas porter plus de toile. En effet la voile s’établit alors bien, surtout à la bonne main, mais ça reste acceptable à bido (la voile au vent de l’arbre) et la carène plate est très puissante dans ces conditions

Je me souviens par jour de Narbonnais (le nom local de la Tramontane) de skippers de Requins (quillard de régate concurrent du Dragon pour les jeunes), dont il y avait une petite flotte à Valras-Plage du fait de leur tirant d’eau (1,1 m si je me souviens bien), en train de manger leur casquette en se faisant remonter allègrement par le vieux machin avec sa voile rapiécée. Il faut dire que mon mentor avait gréé son antenne à tribord pour être à la bonne main dans ces circonstances et que ça l’amusait beaucoup…

Par contre la réduction de voilure est peu pratique : il faut amener la voile, la prise de ris se faisant par le haut en ramassant la toile sur l’antenne, qui est plus longue que le bateau. Les puristes raccourcissent l’antenne en débridant les surliures, mais je n’ai jamais vu personne le faire.
Vence, qui décrit remarquablement la manœuvre de ce type de bateau, appelle la méthode que nous utilisions prendre un ris forcé (en fait c’est assez similaire à la prise de ris sur une voile bômée classique, mais on le fait aux deux bouts de l’antenne : bosses de ris et ligatures des garcettes sur l’antenne)..

Par contre on raccourcissait l’antenne après l’équinoxe quand on enverguait la voile plus petite pour l’hiver (le trinquet), ou plutôt l’automne, les bateaux étant tirés à terre pour l’hiver…

C’était au temps de la Marine en Bois, avant l’uniformisation des bateaux et des gréements…

Je n’ai découvert le remarquable livre de Vence qu’il y a une vingtaine d’années…