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Accueil du site > Littérature maritime > Les Beligoudins - aventures du capitaine Kerdubon > La Croix de Malte

Rubrique : Les Beligoudins - aventures du capitaine Kerdubon

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La Croix de MalteVersion imprimable de cet article Version imprimable

Publié Avril 2019, (màj Mai 2019) par : Collectif Salacia   

Copyright : Les articles sont la propriété de leurs auteurs et ne peuvent pas être reproduits en partie ou totalité sans leur accord
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Mots-clés secondaires: navigation_divers , Traditions_cultures

NDLR : merci à “Kerdubon” capitaine, marin, conteur et explorateur...

Vers la table des chapitre

La Croix de Malte



« Les Béligoudins »

Bref Préambule


Partis de leur fromage comme des rats qui quittent le navire avant le naufrage, les colonels grecs piétinaient leurs casquettes. En Turquie, c’était la même chose, les enképités avaient abandonné leur dictature. La Méditerranée orientale, les mers Ionienne et Egée... redevenaient fréquentables. Théodorakis pouvait en paix faire danser les « Les enfants du Pirée » le sirtaki, rebetiko et autres danses ou chants n’étant plus interdits, les fanfares militaires pouvaient ranger tambours et clairons dans les oubliettes de l’histoire.
Les trois « Béligoudins » quittèrent donc les tours de La Rochelle pour sillonner les eaux turquoises pendant onze étés durant les six mois de congés que s’offrait la captain Kerdubon qui abandonnait provisoirement les cargos, ces tas de ferrailles fumantes et puantes, servant à transporter des marchandises de port en port, pour écouter avec délices et sans orgues, le chant d’Eole, des naïades et autres sirènes dans les voiles de son « cotéro », un ketch de douze mètres en acier nommé « Beligou » comme l’oiseau de légende et le véritable unique cotre en bois d’iroko qui avait fait le tour du monde avec lui et ses compagnons, notez qu’Ulysse n’était jamais allé aussi loin.
Parlons du « rôle d’équipage »... avant de dérouler le « journal de mer » (deux des documents principaux d’un navire) : dans l’ordre d’importance car il faut de l’ordre à bord d’un navire, qu’il soit à voiles ou à pédales, il y avait
  1. « Kitty » « mister dog » chasseur et gardien de Xème classe, bâtard intelligent.
  2. « Madame Kerdubon » non pas née de la côte d’Adam mais de la « Côte de Bourg » (notre jaja préféré), n’ayant jamais connu les affres du mal de mer, cuisinière de classe, (surtout en salades... grecques)...
  3. Votre serviteur : Kerdubon enfant de la Patrie, ancien élève des écoles maternelles, breveté capitaine de la marine marchande, commandant de navires de commerce seulement pendant six mois, car les années n’en comptent que douze si je ne m’abuse !
    Il m’est arrivé maintes fois en menteux confirmé, de conter nos aventures d’été au pays des dieux et du Grand Turc, notamment dans les « danses exotiques ». Elles amusent toujours... alors pourquoi ne pas rire une fois de plus ? Surtout n’oubliez pas qu’un menteux n’est pas un menteur, seulement un... embellisseur ! Dans ce récit, nous suivrons... l’ordre chronologique... car... n’est-ce pas... il faut de l’ordre à bord d’un navire.
*

Remontons aux sources pour parler de notre « chemin de croix » maltais

Les revues nautiques parlaient avec enthousiasme du chantier « Rasbora » à Saint Laurent du var. Depuis mon « tour du monde » et le décès de mon épouse, j’envisageais une vie de « vagabond des mers ». Commandant de cargos, je mettais mes tunes de côté pour la construction de mon voilier... Débarquant à Marseille, je fis un tour au chantier vanté et fit un essai sur un « trente houitt » avec l’un des frères Trémal (nom à peine changé) patrons constructeurs d’origine belge d’où un certain accent... une fois. C’était exactement le voilier qu’il me fallait. Banco, j’ai réglé le premier tiers de son prix à la commande soit 80000 francs.

Nous déménageons à Malte !... si tu ne veux pas perdre ton tiers versé... suis nous ! En échange ce n’est pas un 38 pieds mais un douze mètres que tu auras, nous avons modifié le plan de l’architecte.... m’annoncèrent les frères Trémal un mois après.
Ce n’est que plus tard que faisant la connaissance de l’archi, j’appris que les deux frères jumeaux lui avaient volé son plan en le modifiant légèrement par une petite extrapolation, qu’ils devaient une petite fortune à EDF, aux PTT pour leur téléphone et chez de nombreux fournisseurs de matériaux de construction et même en ce qui concernait les charges sociales. L’île de Malte était devenue indépendante, elle cherchait avec une lanterne des investisseurs qui étaient reçus à bras ouverts et ne s’inquiétait guère de leurs antécédents, ceci explique cela !

Les chers frères reçurent l’ancienne rescue base de la RAF à Marschalllock, redevenu Marsaxxlokk et qui finalement se nommera Marsa-sirocco. Ils embauchèrent les meilleurs soudeurs et autres ouvriers des « Malta dry docks » lesquels étaient devenus chômeurs du jour au lendemain, ainsi que vingt cinq mille autres Maltais, vivant au-par-avant des Anglais. Il faut dire que ces British avaient eu 15 jours pour rassembler femmes et enfants avec leurs nippes, puis rentrer en métropole, la queue entre les jambes… comme des malpropres et sales colonialistes… ce que forcément le gouvernement de sa Gracieuse Majesté n’avait pas du tout apprécié… toutefois certainement pas mécontent de se débarrasser de cette île, comme on le ferait d’un joyau soudain reconnu faux… sur la superbe couronne Britannique... ou bien d’un boulet à traîner !

Je jubilais en relisant le message transmis par Marseille radio que je venais de capter à la vacation du matin, juste après le bulletin météo. Quand j’ai fermé le poste émetteur récepteur à grosses lampes, les grésillements cessèrent et ses yeux magiques rouges et verts me firent un très net clin d’œil avant de s’éteindre un à un. « Votre voilier est arrivé aux stades des finitions, veuillez verser le 2ème tiers… Signé Robert Trémal ».
En gros, cela semblait signifier qu’au moins la coque, le pont, et la mâture étaient o.k., le tout sablé, passé à l’époxy et peint aux couleurs du propriétaire. Le 2ème stade consistait à y poser le moteur, à l’habiller intérieurement, etc. Le gréer, l’accastiller et le voiler, étant le stade final… Lorsqu’à la vacation radio suivante j’envoyai de mon cargo la réponse « j’arrive », je me doutais qu’elle serait comme un coup de pied dans une fourmilière

*


Le jet de la « Royal air Maroc » quoique un peu essoufflé dans la montée, était correct et n’eût pas de mal à redescendre pour se poser à Tunis. Le coucou, bimoteur à hélices d’ « Air Malta » qui m’emporta vers l’île en pierre tendre, crayeuse et blanche, non loin de la Sicile shootée par la botte Italienne, était carrément hors d’âge, et devait voler par habitude comme un vieux pigeon regagnant toujours son perchoir malgré ses rhumatismes. C’était un biplan, authentique « Dragon rapide » né dans les usines De Haviland in England, qui datait peut-être d’Icare, ou pour le moins de Clément Ader.
Durant le vol, notamment à ras de Pantellaria... que le Pilote voulait montrer à ses passagers... chacun de ses deux moteurs eut des hoquets et manqua de caler… heureusement pas en même temps. Le Pilote, un maigre rougeaud à grosses moustaches kaki qui ne devait pas cracher sur le jus de malt, se retourna alors vers ses trois passagers en levant les mains au ciel d’un air fataliste, ajoutant pour rassurer tout le monde…

  • Soyez sans crainte, c’est un fameux planeur !

La, matrone Maltaise, passagère moustachue, faisait des signes de croix à chaque fois, ce qui encourageait absolument les bourriques à reprendre un nombre de tours correct, après avoir crachoté un nuage noir dans lequel ne flottait par chance, aucun boulon ni pièce mécanique.

*

En arrivant sous les coups de midi, la lumière et une grosse chaleur malgré la saison, me tomba d’un coup sur le dos, en même temps qu’une poignée de douaniers qui faisaient manifestement du zèle. Mon maigre sac fut vidé, mes affaires éparpillées sans ménagement sur un vaste comptoir, puis on commença à me palper de la tête aux pieds.
Écœuré par cet accueil, histoire de rire un peu, j’écartai deux « fouilles merde » et… j’ai commencé à me déculotter sous le regard ébahi de l’assistance. La passagère lâcha sa valise en carton pour mettre ses mains devant ses yeux, un tel spectacle si horrible pouvant lui causer un arrêt cardiaque. Les gabelous hurlèrent et expliquèrent en Maltais… car depuis l’indépendance on oubliait le bon Anglais… tout le monde étant censé parler la langue... endémique datant peut-être des Phéniciens… que ce n’était pas utile d’aller jusque là, la fouille s’arrêtant à la ceinture. J’ai souri en me disant alors... que la grosse mamma cachait peut-être justement son trésor… dans sa culotte... Quant à moi, en dehors de quelques dollars, d’un paquet de tabac à pipe dans ma blague en cuir, je n’avais rien à cacher. J’ai remonté mes braies, souqué ma ceinture et ajouté :

  • J’pensais que vous vouliez vérifier aussi la nature de mon service trois pièces !... en faisant un clin d’œil à la grosse dame offusquée et rouge de confusion. Les choses commencèrent à tourner au vinaigre lorsque j’ai déclaré :
  • Maintenant, z’allez refaire proprement mon sac !...

Il fallut l’intervention du Pilote moustachu qui arrivait après avoir remisé son taxi sous un hangar et qui menaça d’appeler les chefs douaniers… pour que l’atmosphère se détende et qu’on puisse diriger nos pas vers la buvette un peu plus loin.

Kerdubon… Gindrop… Les présentations faites, les politesses échangées, en moins de temps qu’il faut pour poser un coucou bi-plan, le maigre à la moustache kaki siffla sous mon regard admiratif et connaisseur, au moins quatre pintes de stout épaisse et noire comme du brai, sous une couche de mousse blanche comme du lait, avant de me demander ce que je désirais.

  • Ben sensément, un p’tit air du pays, un picrate local !

L’héritier de la poignée de héros qui tint tête aux flottilles aériennes de Mussolini entre 42 et 43 un instant dérouté, reprit son souffle et fit un signe au garçon, ex navigateur dans la marine marchande Anglaise, qui avait parfaitement compris mon désir.

  • Il déposa sur le comptoir une bouteille de « Lacryma Vitis », un p’tit blanc made in Malta, dont la bouteille sortie du frigo s’emperlait de rosée, tandis que… le Baron rouge (de plus en plus) éclatait dans un rire homérique, puis poliment attendit que j’aie éclusé la moitié du flacon pour enfin expliquer en français l’objet de son hilari :
  • té Do you know ?...la France prête à aider la nouvelle République Maltaise, importa de ce vin en grande quantité ? No ?... Il ne résista pas à la première analyse de vos spécialistes qui ne badinent pas avec le sang divin ! Le grand cru Maltais ne contenait aucune trace de raisin, il était totally chimical !... faut dire qu’il n’y a pas trace d’un pied de vigne… en dehors des vignes-vierges dans notre island !... Il ne fut donc pas consommé, mais épongé par le buvard de vos impôts… sans laisser de traces !... De même que le jus d’orange arrivé dans la foulée… vu qu’il n’y a pas cent orangers ici !
*

Quelques décalitres de bière plus tard et une petite heure à la dégoulinante gousset de Blériot, celui-ci proposa de m’emmener dans sa superbe auto… une « Austin » 1938 consommant autant d’huile et de benzine… que son patron en carburant plus alcoolisé.
De la boite à gants, Mister Gindrop sortit une paire d’authentiques « beurre frais »… des gants en pécari jaune. Il n’avait pas de lunettes d’aviateur à coller sur ses yeux, mais il fit le geste… comme si… avant de démarrer en trombe. Fangio prit la route de Marsaxxlokk, tandis que je m’accrochais à la portière et aux côtés de son siège, me demandant où le « Chevalier du ciel » était le plus dangereux, à savoir dans son biplan De Haviland, ou dans son Austin !
La route du Sud était étroite dès la sortie de l’aéroport. Des murs la bordaient et des murettes de pierres superposées divisaient le sol pierreux en une infinité de parcelles apparemment incultes. Ces terrains étaient, l’objet de querelles de bornages, ancestrales mais vives comme des plaies ouvertes, au point que dans l’annuaire téléphonique de la République, les pages des avocats en occupaient presque la moitié. Ces murets étaient parsemés de minuscules pièges à oiseaux. Les marchands de glu gagnaient plus d’argent que les marchands d’épeautre et autres céréales. La moitié des habitants de l’île devait guetter les passages d’oiseaux migrateurs, celle-ci étant un relais providentiel entre l’Europe et l’Afrique, l’autre moitié guettait les touristes aux allures de… pigeons. Avec le « Mounia » (cargo Marocain), J’avais fait escale à La Valette pour y décharger une centaine de tonnes de... graines de millet. Je m’étais alors dit en voyant des cages quasiment à toutes les fenêtres, que les habitants en contemplant leurs paquets de plumes généralement jaunâtres plus ou moins sifflants, devaient rêver aux lointains pays… semant alors de la graine de Corto Maltèse !...Un îlien devant toujours se sentir comme une sorte de canari dans sa cage, ne peut rêver que d’évasion !
Nous laissions derrière nous un nuage épais de poussière blanche, comme de la craie. Heureusement à cette heure siesteuse, il n’y avait que les fous dans notre genre pour s’élancer ainsi à toute vitesse, sur ce qui ressemblait à des routes.
Soudain, après un virage, le ruban sinueux fut masqué par une poignée de figuiers. Gindrop debout sur la pédale du frein stoppa son carrosse à deux mètres d’un invraisemblable attelage. C’était le droguiste ambulant qui allant de village en village, faisait tirer par une mule cagneuse un extraordinaire chargement de tout ce qu’on trouve dans le commerce, depuis le balai à tinettes, le papier en rouleaux qui va avec, en passant par les coupons de tissu, jusqu’aux liquides allant de l’acide chlorhydrique au vernis incolore.
Une montagne de bassines et seaux en plastique était au sommet du chargement. Elle faillit s’écrouler lorsque la mule surprise par l’arrivée des chevaux vapeur devant elle, freina des quatre fers.

  • C’est un indigène, il est chez lui, je crains qu’avec les nouvelles lois, nous devions lui céder la place !... soupira notre ex pilote de chasse.
    Encore un peu... et le muletier avalait le clairon qui lui servait d’avertisseur pour faire sortir les ménagères de leur maison !

En arrivant à Tarxien, ville connue pour ses temples du néolithique, les cloche carillonnaient couvrant le bruit des pétards que les gamins lançaient pour fêter eux aussi Jean Baptiste, le Saint Patron de ce bled. La procession qui avait parcouru les rues regagnait l’église en ce milieu d’après-midi. Après la grand messe solennelle du matin, et les vêpres, puis et procession, il y aurait encore « le Salut »... et enfin le soir venu, le bal public. L’Austin dut se garer et attendre longuement pour laisser passer le cortège solennel.
En tête venaient trois fanfares... qui ne jouaient pas le même air ! Ensuite les bannières sacrées, riches en ors et velours, pesant fort lourd et pendantes en l’absence de brise. Elles représentaient la vierge et des saints, les armoiries de Malte, du Saint siège et des différents évêchés de l’île, ainsi que celles de riches congrégations et associations à caractère religieux, A ma surprise, il y avait parmi ces bannières, celle du « parti laboriste » au pouvoir, ainsi que celle toute rouge ornée de la faucille et du marteau, du parti qui aurait bien voulu être celui du pouvoir !

  • Yes…of course !...commenta Gindrop en voyant ma tête étonnée… c’est ici une République « Socialo-Catholique »…d’où la communion parfaite entre le goupillon et la faucille enserrant le marteau !
    Suivait l’énorme dais sous lequel l’ostensoir d’or contenait Dieu sous forme d’une hostie. Il côtoyait la statue du Saint vénéré. Ce monument extraordinaire porté par deux dizaines de porteurs entraînés à marcher au pas et à compter ces pas avant de reposer l’édifice tous les cent yards, était tellement impressionnant par sa majesté ampoulée d’ors et de décors en stuc peint, qu’on devait sûrement se le repasser de paroisse en paroisse, les porteurs professionnels étant loués à chaque fête de chaque bled.
    Arrivaient alors les évêques, les prêtres, diacres et sous diacres, en chasubles blanches, violettes ou rouges, avec surplis en dentelles précieuses.
    Venaient ensuite, les hommes endimanchés et sobres… tiendraient-ils jusqu‘à la fin du « salut » ?…Afin de les aider dans la bonne voie, les quelques estaminets étaient clos... par décret municipal. Pour terminer la procession, arrivaient les femmes qui ne pouvaient s’empêcher de jacasser, tout en calottant leurs enfants indisciplinés, les quels en avaient marre et devaient certainement préférer d’autres jeux. Elles avaient revêtu leurs plus beaux atours, s’étaient fardées et parfumées comme des cocottes, faisant ostensiblement briller au soleil, leur joncaille plus ou moins fausse, chacune tenant à montrer à chaque autre… sa supériorité aussi évidente que grassouillette, les malingres anorexiques…ne faisant évidemment pas le poids ! Au passage, certaines parmi les plus jeunes nous lancèrent des œillades.
  • Eh oui !... commenta Gindrop avec une sorte de soupir…beaucoup recherchent l’étranger jeune riche et beau… pour quitter enfin l’île. Elles ne manquent pas de le plaquer ensuite... pour un plus riche ou plus beau… mais seulement lorsqu’elles sont bien intégrées sur le continent !
    Quelques années plus tôt, j’aurais bien gratté des sabots… mais j’avais pêché dans mes filets une nouvelle « Madame Kerdubon », j’étais... si l’on peut dire... à nouveau jeune marié, amoureux et j’avais horreur des tricheries et complications afférentes… ceci est une autre histoire.

Le sable de pierre… comme disent les Maltais en parlant de la poussière… vu que la terre est plutôt rare, les bâtiments et maisons ayant poussé comme champignons, s’élevait sous les piétinements et blanchissait la foule ainsi que nos respectables personnes.

*

Deux petites pétarades suffirent à relancer le bolide, le pare-brise essuyé de sa poussière. Une maison du style de celle de « psychose », isolée en retrait de la route, retint mon attention. Elle était bien à l’écart des autres qui furent bâties sans doute par la suite, l’explosion démographique due à l’action conjointe de l’ardeur méditerranéenne et la rigueur Catholique interdisant ici toute forme de contraception, obligeait forcément le développement incessant de nouvelles constructions en même temps d’ailleurs que l’émigration, (Il y avait plus de 1000 habitants au Kilomètre carré, et seulement 35 à 40% de terres cultivées !)


Avec ses volets clos, l’étrange et inquiétante maison qui fut élégante, ne montrait pas de dégradations considérables en dehors des outrages normaux du temps, aucun squatter ne s’en était emparée.

  • Et pour cause !... commenta Gindrop… Elle est hantée !
    • Nous sommes pourtant loin de l’Ecosse icitte !
  • Of course my dear !... d’autant plus qu’on ne fabrique que du faux whisky dans cette île !... Je suis bien placé pour vous le dire, étant obligé de ramener le mien de l’étranger !... Il y a encore peu de temps, cette maison était un joyeux bordel aux filles inoubliables…. Un soir d’orgie, ou dans un moment de folie… allez savoir ?... Une des femmes fut assassinée de façon épouvantable. Depuis, ceux qui ont pénétré ces lieux maudits ont vu accourir le fantôme de cette victime de l’amour et se sont enfuis comme des assassins poursuivis par la justice d’outre tombe !... Plus personne n’ose mettre les pieds dans cette baraque !

L’année suivante, après libations réglementaires, avec les copains du chantier, madame Kerdubon et moi-même avons passé une nuit dans ce... château hanté pour rencontrer la belle assassinée... il n’y eut que des moustiques à fredonner leur chanson bordélique !

*

On arriva enfin à Marsaxxlokk. En descendant une ruelle qui menait aux quais du port étalé au fond d’une large baie ouverte au Sud Est. Il a fallu stopper à nouveau et même faire demi-tour pour emprunter une autre ruelle parallèle, car un charpentier de marine construisait au beau milieu de la rue, une barque de pêche de 4 à 5 mètres, directement devant la maison du futur armateur, lequel pouvait ainsi avec sa famille suivre l’avancement de la construction par le bow-window de sa demeure en pierres de taille blanche, comme toutes les autres constructions de l’île, laquelle est un véritable bloc de calcaire bizarrement posé sur le fond de la méditerranée.
A grands coups d’herminette malgré tout très précis, ce qui montrait sa connaissance du boulot, et son art consommé, le charpentier affinait l’épaisse et très haute étrave faisant remonter les bordés comme ceux d’un Drakkar. Cette barque en avait d’ailleurs tout à fait la forme. (Il faudra attendre quelques années pour que les charpentiers posent un tableau arrière sur leurs barques. C’est moins joli, mais simplifie la construction et permet la mise en place de gros moteurs hors-bord.)… c’était du beau travail, personne n’aurait eu envie de le troubler, pas plus que les chats qui se prélassaient à l’ombre.

En longeant les quais, juste au bout de la partie Sud de ce coin de baie dominé par la fortification massive de Kalafrana, on atteignit l’ancienne rescue base de la RAF et nous pouvions voir six ou sept coques de voiliers de 12 à 14 mètres, à différents stades de leur construction. Il était bientôt l’heure où le soleil allait se coucher, le chantier était déserté par son personnel.
Une maison le dominait de sa terrasse. Sur cette terrasse, un homme s’agitait en tapant avec une louche sur une gamelle. Il criait à tous les échos : « Tchoutchoule... tchoutchoule ! »
L’Austin était stoppée. Gindrop me regarda fort étonné, tandis accourus des quatre coins du village, une dizaine de chiens loups se précipitait vers l’homme étrange qui continuait à hurler à tous les échos : « tchoutchoule…tchoutchoule !  » en tapant sur sa gamelle avec un louche. On repartit pour arriver à l’entrée de la bâtisse et l’homme réapparut nous menaçant d’un fusil de chasse.

  • Qui qui vous vous êtes vous vous ?... Son accent belge ne trompait pas, ce n’était pas un Maltais. Son bégaiement expliquait pourquoi il avait un fusil à deux coups… un fusil bègue.
    • Je suis Kerdubon, je viens chercher mon voilier vous pouvez me dire où est le patron ?
      La foudre s’abattant sur l’homme aux manières étranges ne l’aurait pas pétrifié davantage. C’était Roger, le frère jumeau de Robert Trémal, sa copie conforme.

Malgré une certaine réticence craintive, l’accueil de « Roro deux » fut assez sympathique. S’il n’était apparemment pas pressé de me montrer mon voilier en arguant que... « Demain il ferait jour ». Il proposa de m’inviter au restaurant et de passer la nuit dans sa maison sous la garde d’une meute féroce et sûre… « D’ailleurs…ajouta-t-il, je dors avec le fusil sous mon lit ! »… ce qui en effet était tout à fait rassurant !
Ce n’est qu’attablés devant un lampouki pie... de la coryphène coupée en tranches légèrement frites, agrémentée de tomates, olives, oignons, choux-fleurs et câpres, le tout enveloppé de pâte à pain et cuit au four, qu’après maintes questions arrosées de « Marsovin verdala », un rosé potable et pas trop destructeur de parois stomacales, que j’ai pu obtenir un début de réponse à mes questions et arriver à l’histoire véritable, pour le moins étonnante et peu rassurante quant à l’avenir.
Les yachts des clients dont le mien étant maintenant construits ici dans l’île accueillante, leurs problèmes varois auraient pu cesser et leur affaire devenir prospère, car au fond, les plans étaient très bons, les ouvriers les meilleurs de Malte et les clients déjà trouvés… Hélas le démon de la combine les avait travaillés, il faut dire que quelque part... ils étaient déjà bien pourris !
Grâce à la pub gratuite de certains reportages faits par des revues nautiques…d’autant plus enthousiasmées par leur créations, que leurs reporters avaient été invités à Malte, ils avaient également vendu d’autres voiliers en Allemagne et en Italie, et forts de leurs 14 commandes… débutèrent les grandes escroqueries. Ainsi entre autres vols, ils vendirent plusieurs fois les mêmes coques bien exposées sous le soleil Méditerranéen !... Maintenant ils réclamaient à leurs pigeons le 2ème tiers, en leur montrant les mêmes yachts très avancés dans leur construction, un 12 mètres soi-disant le mien… depuis mon arrivée au chantier et un 14 mètres.

  • La tienne de co-coque…avoua Roro deux…a été venvendue 3 fois. Tutu la verras demain au jour, c’est du bo-beau travail ! Sois rarassuré, on te la réserve !…
    Certains Italiens vaguement Siciliens, donc proches voisins, vinrent faire du scandale, et portèrent plainte, mais il y a déjà tant de procès entre les îliens que l’affaire ne pouvait être réellement instruite avant quelques années et puis les autorités n’allaient pas vraiment chercher noise à une entreprise en plein développement !
    Un soir du coin d’un muret sur la route menant au village, on tira sur la voiture des frères. La rafale de pruneaux passa entre eux, brisa le pare brise et abîma la superbe Jaguar qu’ils s’étaient offerte pour mieux draguer les filles qui passaient dans leurs lits… à la queue leu leu… si l’on peut dire... et impressionnait les autorités complaisantes ! Cependant, n’étant pas de la graine de héro, ils avaient eu chaud !
    Dans ce genre de commerce relatif au beau sexe, un beau jour, cela faillit encore se terminer très mal pour Roro deux. Invité à la résidence de Dominique Mintoff, numéro un de l’île, en même temps que d’autres investisseurs, après avoir montré patte blanche aux gardiens du portail, sur la route privée menant à la grande bâtisse, ex résidence du Gouverneur Anglais au sommet d’une colline, il dragua bêtement et grossièrement une femme qui empruntait cette voie, faisant une redoutable et dangereuse queue de poisson à sa Mini-Cooper...
  • Je croyais queque c’était une poufta… une pupute… comme les autres Maltaises…benben… mon vieux… c’était lala fille du président !
    Outré, je lui ai demandé pourquoi il pensait que toutes les femmes Maltaises étaient des putes :
  • C’est toutoutes les femmes qui sont des putes !... Celles qui ont un mamari encore plus !... t’es papas marié au moins ?... Tutu verras comme on les baibaise toutes avec mon frère !

Il y avait des « bondieuseries » à chaque coin de rue, en les regardant, je me demandai à quel saint me vouer pour avoir le « Beligou » !

Dès l’aube, je me rendis sur le chantier. Les chiens plus intelligents que leurs patrons, m’ayant vu bien accueilli dans la maison par leur maître me laissèrent passer. Un contremaître soudeur me montra les différentes coques. Une seule correspondait exactement aux particularités que j’avais demandées par contrat, notamment en ce qui concernait le décrochement à l’arrière. Il ne pouvait y avoir d’erreur. Elle était sablée et avait déjà reçu une ou deux couches d’époxy.

  • C’est à un Italien venu la semaine dernière !… dit le contremaître
    • Sans blague ?
      Le jour même, j’ai signé un contrat avec le représentant du « Bureau Veritas » pour un certificat « coque et pont ». L’expert vint faire son travail
      d’inspection, et la toute première chose qu’il fit fut de poinçonner les membrures à “ mon ” numéro enregistré au bureau !
      Roger Trémal qui ignorait que l’on puisse faire faire une survey pour un malheureux 12 mètres, laquelle garantirait la qualité de la construction, notamment en cas de revente, ricanait en disant :
  • Il est foufou… ce tytype !
    • Certainement Roro… mais ainsi, si un Rital prétend que c’est son yacht, la preuf’ que c’est le mien est inscrite sur la ferraille !... Pour la soudure… je vois que c’est du sérieux aux dires de l’expert !... Pour le fric, je vais t’en lâcher une pincée… Ce type cinglé comme tu dis, surveillera la construction et quand il me dira que la coque et le pont sont enduits, poncés et peints à mes couleurs… je te lâcherai la suite !...c’est-y clair mon ami ?
  • C’est Rorobert qui ne sera pas content !
    • Tu crois que je le suis moi ?
  • T’es bien bien oooobligé de nous faire conconfiance !...Ceux qui nous emmerdent… ils ne l’auront jamais leur gamatte !...Toi c’est papas pareil…t’es un nanami ! tutu l’auras… mais faudrait pas dédéconner !

J’ai bien enregistré la chose, il me faudrait jouer le rôle de l’ami sincère… pour emporter le morceau à la finale, ce ne sera pas facile !... surtout avec le Roro Un, le Robert Trémal qui faisait le beau à l’étranger pour encaisser le fric des clients, montrant des photos de la construction de leur très cher voilier presque achevé. Je me doutais bien que la « Croix de Malte » serait lourde à porter... le calvaire dura deux ans !

- 

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Kerdubon

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