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Publié Mai 2018, (màj Mai 2018) par : Collectif Salacia |
Le taxi les déposa à Haw-Par-Villa... autre temple, si je puis dire. Ils se trouvèrent en compagnie d’une foule endimanchée, joyeuse et jacassante. Ils pénétrèrent dans le Tiger Balm Garden, un immense parc public, offert et entretenu par le célèbre Baume du Tigre... à l’origine un savant mélange de graisse de tigre et de camphre, dans les mêmes proportions que le pâté d’alouette.... premier des médicaments du monde asiatique, aussi souverain contre tous les maux que notre Aspirine... qu’elle soit du Rhône ou d’ailleurs.
Ce parc d’attraction qui avait sa réplique à Hong-Kong, s’étageait sur une colline dominant la rade. On voyait les nombreux navires au mouillage. C’était également un jardin botanique, des massifs de fleurs et des arbres de toute espèce... dûment étiquetés, ombrageaient les avenues et les allées menant partout, à des milliers de statues groupées en sujets évoquant les légendes classiques de la Chine millénaire, aussi bien que les différents épisodes de la vie de Gautama. Le richissime Monsieur Aw, le génial inventeur du baume miracle, ayant certainement été un homme pieux. On y trouvait aussi, des séries de groupes édifiés pour la sauvegarde de la morale... laïque et universelle. Of course, tous ces groupes naïfs étaient peints avec un réalisme digne du...Grand Bouddah couché.
Nos amis furent un peu bousculés par des enfants rieurs. Ils contemplaient à l’entrée... à tout seigneur... tout honneur, un immense tigre couvant d’un air protecteur et bon enfant... des petits pots de Tiger balm... Le Seigneur normalement... saigneur, avait bonne mine et griffes rentrées. Une jeune fille les aborda en caquetant et en gloussant sous l’air étonné de Joachim Kerdubon, ce grand sifflet à l’œil de rapace.
La gamine qui parlait Anglais à la perfection était très drôle, vive comme un moineau, avec des yeux en boutons de bottines et des nattes qui tressautaient et fouettaient l’air, à chacun de ses pas sautillants.
Evidemment, la gosse les mena en priorité vers les scènes qu’elle affectionnait tout particulièrement, demandant parfois des explications, lorsqu’avec les petites camarades qui l’avaient accompagnée d’autres fois, elles n’avaient pu comprendre le sens de certains sujets... moraux. Il faut dire aussi que sortant de milieux aisés, ces fillettes étaient loin d’être aussi...avancées dans leur maturité...que les gosses des bidons ville de banlieue, ou des sampans dans les quartiers flottants.
Ainsi, dans un cabaret, on voyait un gros et riche personnage débraillé, caressé par trois femmes échevelées. L’une lui faisait les poches, l’autre servait à boire, et la troisième assise sur ses genoux, la poitrine... généreuse et aux trois quarts dévêtue... à la hauteur de son visage béat, lui caressait la chevelure d’une main baguée. A la porte de ce petit intérieur intime, une femme et deux enfants... la famille du triste individu, le suppliaient à genoux et en larmes, mais un cerbère musclé, leur empêchait l’accès.
La fillette éclata de rire, puis s’adressant au sans-fll :
C’était amusant... tellement l’horreur était poussée ! Un immense lit de flammes servait de sol. Des diables cornus avec forcément une longue queue fourchue, piquaient leurs patients pour les retourner... sur le gril. D’autres... clients, étaient carrément torturés avec des instruments et machines, dignes des caves de l’inquisition. Pinces arrachant la tripaille, membres écrasés, disloqués, le tout sanguinolent à point. Quant à l’expression des visages des embrochés et autres empalés, on était loin de l’extase... même sado-maso. La gamine riait et sans doute insensible à la misère de tout ce pauvre monde, traduisit la notice explicative :
La fillette applaudit à l’idée et avant de poursuivre leur intéressante expédition au pays des merveilles, ils firent honneur à une solide poignée de beignets de poissons et fruits, tandis que leur petite amie préféra nettement... des glaces classiques vanille-chocolat.
Enchanté des progrès que la gamine avait fait en langues étrangères... et surtout en... Français, son papa chinois invita nos amis pour dîner à « Connel house » Ce foyer du marin... quatre étoiles... outre le passage des oiseaux long courriers... « white only »... n’était pas aussi ségrégationniste qu’on le pense... puisqu’il servait de Club chic à l’élite jaune de la colonie, qui n’avait pas accès au lieux ultra chics... strictement interdits même aux blancs... du genre marins de commerce... ou commerçants ne faisant pas partie de la High class...
Spécialement les fins de semaine, le... beau linge... selon l’expression de Kerdubon... je veux dire la vraie soie, l’authentique cachemire et même le brocart à riche teneur en argent, parfois en or... s’y laissait entraîner dans quelque valse archaïque... par des smokings noirs ou blancs.
Evidemment, la tenue coloniale... short et chemise blanche... de nos deux amis... détonnait un peu dans le paysage, mais personne ne semblait y faire attention. Après tout, en dehors d’un manque de correction qui eût été “shoking”... tout était permis à un diable blanc... surtout lorsqu’il était en compagnie du si riche monsieur Wong... le quel saurait expliquer qu’il avait enlevé ses amis... au débotté.
Lorsqu’ils pénétrèrent dans le vaste bâtiment de style néogrec avec fronton classique et colonnes doriques, en traversant salles de billard, fumoirs et salons à l’odeur de cuir et de cigare refroidi, ils baissèrent la voix... comme au temple.
Digne comme un évêque Anglican, le Superintendant des lieux, accompagné de sa secrétaire d’âge canonique, la très respectée et universellement connue du monde maritime « Miss Una W..., » vint saluer le riche commerçant... ami des échappés du « Mézidon ». Encore un homme sage qui savait prévoir d’où le vent soufflerait dans quelques décennies. Il les poussa discrètement vers l’un des bars en acajou verni, avec cuivres rutilants et hauts tabourets recouverts de moleskine... de la peau d’Anglaise... disait Kerdubon... rapport à ce que « Mole skin » se traduit par... peau de Taupe !
Dans un Français nasillard mais sympathique, l’hôte de nos amis... originaire de Nankin... demanda avec le sourire :
Lorsqu’ils passèrent à table dans la « dining room »... réservée aux « gentlemen-officiers », quelques... Officiers de marine d’origine Britannique qui buvaient en silence... firent des remarques désobligeantes en se regardant d’un air entendu... remarques qui furent immédiatement oubliées par le groupe qui nous intéresse.
Eux qui avaient rêvé de subtilités chinoises enrobées de quelque sauce asiatique accompagné bien entendu, d’un bol de riz cantonnais... eurent de l’excellent « roastbeef »... bouilli, avec accompagnement de patates à l’eau ... et pour finir... une salade ressemblant à du chou, avec en dressing, un assaisonnement.... sucré. Le dessert fut... une gelée au citron... « very delicious » !
Leur hôte était ravi d’avoir étalé aux yeux de toute la communauté présente... une connaissance et un goût prononcé de la parfaite civilisation occidentale... « english spoken ». Ils se confondirent en remerciements, en insistant juste ce qu’il faut... mais pas plus... pour rendre l’invitation... ce qui était impossible... et leur ami Chinois le savait très bien.
Leur petite amie qui avait été de la fête, fière de quelques expressions... toutes neuves, termina dans un rire qui lui ferma les yeux... pour dire de sa voix fluette :
Ils eurent le temps de passer par « change alley » avant de se rendre par des ruelles illuminées par la multitude de boutiques, non loin du « Rafles quay », où ils embarquèrent dans un sampan qui les amena à la coupée du Mézidon.
Change Alley et mes ruelles de ce quartier voisinant les berges du port offraient aux yeux ébahis de nos amis, toutes les productions japonaises, ainsi que celles de Hong-Kong... à des prix hors taxe, les mettant au quart de leur valeur sur le marché français. Les échoppes de tôle et de carton recelaient des richesses fabuleuses. Ils allèrent chez l’un des changeurs de change Alley pour acheter des piastres Indochinoises, à un taux qui leur permettrait de payer comme...une bagatelle, leurs futurs frais d’escale...
Le « Mézidon » qui avait fini quelques maigres opérations commerciales était entouré d’une nuée de sampans et de petites jonques aux voiles ferlées. Eclairées discrètement par un vulgaire lampion de papier, une lampe tempête, ou par des lampes... à gaz de pétrole mis sous pression par une petite pompe et brûlant dans un manchon... Ces embarcations se reflétant sur les eaux calmes de la rade, avaient un aspect fantomatique, d’autant plus qu’on voyait en s’approchant, des silhouettes furtives projeter des ombres fantastiques sur la coque du Liberty.
A l’aide de bouts, [2] les... ombres chinoises avaient établi de nombreux va et vient entre les barcasses et la coursive extérieure du pont principal du « Mézidon ». Des cartons montaient, tandis que d’autres descendaient. Cela se passait sans bruit ni cris, comme dans toute organisation bien rodée. Chacun devait savoir ce qu’il avait à faire.
En pénétrant à l’intérieur du cargo, dès la coursive équipage, ils furent sidérés par l’impressionnant nombre de marchands de tout poil et de toute sorte de marchandise. C’était pire que dans “change alley”... un amoncellement hétéroclite laissait tout juste le passage d’une personne, même dans les escaliers. Les commerçants vantaient leur camelote en parlant bien fort, se transformant à l’occasion en démonstrateurs persuasifs.
En dehors des gens de service, l’équipage déambulait, comparait, commentait, et... achetait. Tout ce-ci faisait un tapage, un potin du diable !
Encore éblouis... le regard allumé par cet éclat particulier qui brille dans le regard de tout individu, à certains moments privilégiés, lorsqu’il a un rêve d’enfant par exemple, ils quittèrent un rayon à jouets étalé du côté de la coursive des officiers mécaniciens. Ces jouets probablement Japonais, animés par des piles électriques, rutilants de couleurs vives, étaient incroyable de réalisme et parfois de beauté. De la pacotille certes... mais de classe. (A cette époque, les jouets pour enfants étaient encore le reflet des fantasmes ou de ce qu’avaient rêvé leurs parents... à présent, on exécute les jouets en fonction des désirs de ces mêmes enfants... d’ou les alignements de... choses ressemblant à des monstres ou des robots... super machins crachant du feu interplanétaire, ou même intergalactique... qui s’étalent dans les rayons de nos grands magasins... Ce n’est pas à moi de dire si c’est mieux.). Le pont des embarcations était transformé en souk à vêtements. Il y avait même des machines à coudre et des tailleurs faisaient du sur mesure. Ils y rencontrèrent le Commandant Faubon, qui se faisait faire des pantalons blancs.
La petite biaiseuse avec quelques unes de ses jolies soeurettes, assurait en effet le succès de son honnête commerce... en payant de sa personne plus qu’il n’est honnête et nos amis achetèrent forcément... quelques vêtements, juste pour vérifier les dires du pacha. Joachim tenta de... marquer l’essai, si je puis dire. L’affaire n’était pas aussi simple qu’on aurait pu le penser. De prime abord, la jolie Malaise se montra outrée devant une proposition si malhonnête de la part d’un gentleman. Kerdubon protesta vivement, en disant que c’était normal !
Elle n’avait pas tort en effet, juste devant la porte de notre Lieutenant, un marchand avait étalé ses services complets avec ses services à thé et à café, sans parler d’un amas de carafes, couverts et autres accessoires de table. Impossible de passer inaperçu par ce chemin. Par contre, entre l’embarcation tribord et son hublot de cabine, un marchand de kimonos en vraie ou fausse soie... au choix, avait étalé tout son assortiment sur des cintres disposés sur des barres à roulettes. Par cette voie, ce fut un jeu d’enfant pour la retoucheuse, de disparaître aux yeux du public en se glissant derrière, puis par un simple rétablissement, de passer par le hublot aussitôt refermé... l’honneur était sauf... et le commerce prospère.
L’essai fut marqué avec la furia Francèse... qui se doit lorsqu’on est jeune marin... en manque. Toutefois, comme raconta plus tard notre ami à ses copains du carré :
Ayant remis son pantalon de crépon noir et son chemisier, ses tongs à la main, la petite repartit par le même chemin. Kerdubon remit un peu d’ordre dans sa cabine, replaça l’oreille d’âne au hublot, éteignit l’éclairage de chevet et sortit brutalement. Le marchand de vaisselle qui était accoté à la porte perdit l’équilibre. Il flanqua par terre une série de pots à épices perchés les uns sur les autres... comme une pagode... et s’écrasa mollement sur une pile d’assiettes à dessert. Il se remit sur pied pour évaluer la casse. Pour éviter une histoire... à rire jaune, et surtout parce qu’il voulait ramener un souvenir à sa mère... qui devait chaque soir... prier Sainte Anne de bien vouloir ramener son rejeton... sain et sauf au nid familial Joachim fit l’acquisition d’un service à café aux vives couleurs noires et rouges, orné de dragons ailés... en relief s’il vous plaît... d’un beau jaune d’or... bref un chef d’œuvre du plus pur style art beauf.
L’avant de la coursive des officiers pont, était le point d’exposition du matériel radioélectrique, et le point de rencontre des fanas de ces objets. Jean de la lune, héla son camarade.
Les navires de cette époque, tout au moins ceux de Monsieur Barbe, fonctionnaient en courant électrique continu... d’où une commutatrice pour amener... l’alternatif sur certains appareils.
A côté, non loin de chez le Chef Mécanicien, c’était le coin des appareils photo. Leica et Rolleiflex tenaient le haut du pavé. Kerdubon s’amusa un instant avec un minox... bah !... son ultra-fex continuerait à faire l’affaire... Il n’était pas un mordu de la pellicule.
Il regagna la passerelle pour faire son quart de veille au mouillage car on était service à la mer depuis midi. Les barges étaient parties depuis longtemps, quelques sampans de commerçants commençaient également à s’en aller, en sortant du halo lumineux fait par l’éclairage des mâts et ponts du navire. Il repéra sur l’avant de la cale trois, les deux matelots de quart qui effectuaient une ronde... s’agirait pas qu’un mal intentionné s’intéresse de trop près au chargement qui ferait... boum !
La ville proche n’était visible que par ses lumières. En lieutenant consciencieux, Joachim vérifia la position du navire et constata... que la ville ne s’était pas rapprochée, et comme l’Asie... on ne pourrait la saisir, la posséder complètement... Comme la fille de tout à l’heure... pensa-t-il... elle a satisfait mon désir... sans se donner !... Dire que Singapour en Malais veut dire « La cité du lion »... je croirais plutôt : cité du... Tigre !
[1] L’assiette d’un navire, est son inclinaison longitudinale...par rapport à l’horizontale
[2] Ou bouttes...cordages, cordes...où ficelles terrestres...